Après plus de 8 mois d'auditions et de débats, les travaux de la Convention Citoyenne pour le Climat ont abouti à 149 propositions. Le projet de loi "Climat et Résilience" qui en est issu a été présenté le 10 février 2021 en Conseil des Ministres et examiné au Sénat.
Parmi de multiples sujets, celui de la lutte contre l'artificialisation des sols et l'étalement urbain, à propos duquel le projet de loi envisage la mise en place de nouvelles règles à inscrire au code de l'urbanisme. Citons l'écriture d'une définition de l'artificialisation des sols, et l'inscription dans le code de l’urbanisme de l’objectif de division par deux des surfaces artificialisées au regard de la consommation des 10 dernières années.
Loin de constituer une nouveauté, cet objectif de lutte contre l'artificialisation des sols est aujourd'hui largement partagé et constitue un défi à relever collectivement. L'inscription de cet objectif dans la loi ne peut être que bienvenu. Mais au-delà de la finalité, la question des moyens d'atteindre cet objectif doit être replacée au cœur des débats, en reconnaissant la place et la responsabilité de chacun : Etat, élus locaux, urbanistes, architectes, habitants, acteurs locaux.
Le réflexe législatif, la puissance aveugle de la norme
L'évolution des objectifs assignés aux PLU, aux SCoT, la mise en place des CDPENAF, ont déjà renforcé l'arsenal législatif destiné à stopper l'étalement urbain. Le cadre et les outils sont relativement complets, pourtant le projet de loi continue d'actionner la même manette, à défaut de renforcer d'autres leviers d'action. L'angle d'attaque porte ainsi principalement sur les effets (artificialisation) et insuffisamment sur ses causes. L'approche reste alors fixée sur un objectif quantitatif (un nombre d'hectares artificialisés) appliqué de manière uniforme. Ce qui risque de créer l'illusion selon laquelle l'outil législatif constitue l'alpha et l'oméga de la lutte contre l'artificialisation des sols, reléguant au second plan des stratégies plus fines et agiles, pilotées localement.
L'approche quantitative a transformé la manière d'examiner les documents d'urbanisme, par des considérations mathématiques au détriment des débats de fond sur les projets de territoire. Cette confusion accentue encore la tension entre des collectivités locales soucieuses de la maîtrise de leur développement et des services de l'Etat porteurs d'injonctions législatives.
Une nécessité d'outils ciblés, locaux, partenariaux
Une approche uniforme par des objectifs chiffrés risque également d'impacter des politiques locales patiemment construites. Dès lors, on peut se satisfaire des amendements apportés au projet de loi pour territorialiser les objectifs, affirmant le rôle des politiques régionales inscrites dans les SRADDET, dans une combinaison objectif global / solutions locales.
La transition vers le zéro artificialisation n'est effectivement sans doute pas à mener de la même manière sur un espace péri-urbain renouvelant sa population scolaire à coup d'opérations de lotissements successifs, que sur une ville centre ou sur une commune rurale faisant face à des situations de vacance d'habitat ancien.
Les outils peuvent ainsi être adaptés à la singularité de ces situations et éventuellement se combiner : opérations de renouvellement urbain, accompagnement de divisions foncières, réhabilitations de parcs d'habitat ancien,…
La mobilisation de ces outils et le pilotage de ces démarches nécessitent une ingénierie locale plus musclée pour accompagner les collectivités dans cette transition. L'engorgement réglementaire en matière d'urbanisme depuis la loi SRU a certainement conduit à mobiliser une grande partie de cette ingénierie sur la remise à niveau (nécessaire) des documents. Mais il est peut-être temps de faire vivre ces nouveaux documents en transférant ces énergies vers la mise en œuvre des objectifs affichés, plutôt que de s'engager vers un nouveau cycle de révisions de documents d'urbanisme, consommateur de temps et de moyens.
Une stabilisation du cadre réglementaire défini pour les documents d'urbanisme pourrait être l'occasion d'une respiration salutaire pour réorienter les moyens vers l'accompagnement des collectivités afin d'engager un véritable renouvellement urbain co-construit localement et surtout choisi : études de programmation, référentiels fonciers, démarches de redynamisation de centres bourgs,…
Quels autres leviers ?
L'arrivée de nouveaux outils et moyens tels que les démarches Action Cœur de Ville, Opérations de Revitalisation de Territoire ou Petites Villes de Demain illustrent une approche plus opérationnelle, même si on peut regretter une certaine forme de saupoudrage. Ces démarches sont désormais fréquemment citées en exemple et le travail engagé par les pionniers ne demande qu'à essaimer.
La question de la fiscalité doit également être traitée pour rendre les opérations de réhabilitation et de renouvellement urbain plus rentables que la construction neuve et l'étalement urbain. Les évolutions fiscales en ce sens semblent encore trop timides pour inverser la tendance.
Le bâton peut-être, mais avec la carotte
Ne nous leurrons pas, la contrainte réglementaire reste indispensable. Mais pour être efficiente, elle doit s'accompagner d'actions soutenantes pour accompagner les territoires dans la mutation de leur modèle d'aménagement du territoire.
L'approche par la contrainte, sans disparaître, doit s'écarter au profit de démarches engageant des récits positifs pour nos territoires, car ils sont les plus puissants moteurs de changement. Parce qu'ils reconnaissent le rôle et la responsabilité des acteurs locaux, parce qu'ils suscitent l'adhésion et l'appropriation des projets de territoire inscrits dans les documents d'urbanisme.
Thomas CLAVREUL, Urbaniste membre de l'AUGO
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