Lettre de l’AUGO – Numéro spécial ville confinée

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Lettre de l’AUGO – Numéro spécial ville confinée

Editorial

La crise sanitaire qui nous secoue touche profondément nos modes de vie; pour nous urbanistes, on devine qu’elle interroge aussi les villes et les territoires : dans leur fonctionnement et leur organisation. La ville résiliente – et surtout désirable - est à l’ordre du jour. Le moment est venu de nous interroger sur les enseignements que nous pouvons tirer de cette période. D’ores et déjà, le CA de l’AUGO a engagé un débat interne sur le sujet. Dans cette optique, nous avons réuni un certain nombre d’articles ou de témoignages autour de 3 thèmes : le rôle des pandémies dans la fabrication de la ville (le passé) ; la ville confinée (le présent) ; les enseignements (le futur) : celui-ci constitue le contenu de cette Lettre de l’AUGO.

Nous nous proposons de poursuivre et d’élargir la réflexion autour du thème : « Et après ? Des villes et des territoires à réinventer ». Nous appelons à contributions de chacun visant à alimenter ce débat. Nous réunirons vos textes et articles et publierons une nouvelle brève sur ce thème. Nous organiserons aussi une prochaine rencontre-débat qui y sera consacrée, dès que possible (probablement à la rentrée).

Nous nous proposons enfin, si vous le souhaitez, de contribuer à répondre avec l’AUGO à l’appel à idées du PUCA (« La crise sanitaire, la ville, et l’habitat : questions pour la recherche »).

http://www.urbanisme-puca.gouv.fr/appel-a-contributions-la-crise-sanitaire-la-ville-a1988.html

Nous vous invitons à nous faire vos envois par mail à : contact@augo.fr avant le 26 mai 2020. Merci de préciser le cadre de votre participation à savoir brève AUGO et/ou PUCA.

 

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Comment les épidémies ont façonné nos ville

De tout temps, l’humanité a été confronté à des épidémies de peste, choléra, fièvre jaune, typhoïde, scarlatine, tuberculose…

Avec l’apparition des villes et la densification de populations, ainsi que le développement du commerce maritime, les grandes pandémies se sont multipliées dès l’Antiquité et ont ainsi été prises en compte pour concevoir les villes et notamment les villes portuaires, via des dispositifs de mise en quarantaine et d’éloignement des bateaux et de leurs cargaisons.

D’ailleurs, les mesures de quarantaine ont été perfectionnées au XIVe siècle dans les villes du Nord de l’Italie.

Les mobilités ont de tous temps été un facteur de risque et d’accélération. Les épidémies se sont propagées aisément via les voies de circulation premières, qu’elles soient commerciales, militaires ou religieuses, en privilégiant le secteur maritime au terrestre.

Ainsi, la structuration des villes, dans la conception de l’architecture et de l’urbanisme a principalement tenu compte du traitement de la circulation de l’air, avant que les avancées de la médecine de la fin du XIXe siècle (notamment avec Louis Pasteur) ne parlent des bactéries, micro-organismes et autres modes de contamination.

Le mouvement hygiéniste apparu au XIXe siècle, aux Etats-Unis et en Europe, a vu la transformation de Paris par Haussmann basé sur le projet d’assainissement et de création de larges boulevards faisant suite à des épidémies de choléra.

La prévention en matière de santé publique a permis ensuite de prendre en compte dans l’architecture et l’urbanisme la gestion de l’eau (adduction d’eau, réseau d’égouts), du bruit, de la lumière, de la verdure (espaces verts), qui, plus que jamais sont toujours des enjeux primordiaux de nos sociétés actuelles.

 

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Pendant : la ville confinée

Temps 1 – la sidération face aux villes désertées

On ne compte plus les articles et diaporamas qui nous donnent à voir des villes, habituellement surpeuplées et hyperactives, complètement désertes. Si cela alimente notre sentiment de sidération face aux effets de cette pandémie, cela peut également être un révélateur de cette nouvelle relation au monde induite par l’arrêt brutal des déplacements : l’expérience de l’ailleurs n’est plus que visuelle, perdant à la fois en sensorialité et en réalité, la webcam ou la photo deviennent les seuls moyens de voir au-delà de notre monde confiné.

Temps 2 – L’observation et les mesures

l’Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) propose un nouvel outil interactif permettant de visualiser quotidiennement l’impact des mesures de confinement sur la qualité de l’air. Le ralentissement de l’activité économique dû au confinement décrété en réponse à l’épidémie de Covid-19 a pour conséquence positive une forte diminution des émissions de polluants atmosphériques provenant du trafic routier et des industries . Mais "estimer et quantifier l’impact des mesures de confinement n’est pas aisé", notamment en raison de la variabilité météorologique. le confinement a eu pour effet de diviser par deux la pollution au dioxyde d’azote des 100 plus grandes villes françaises, par rapport aux niveaux attendus.

De son côté, Bruitparif publie le 25 mars, une semaine après la mise en place du confinement, un un 1er bilan qui constate qu’un "silence inhabituel" a envahi l'Île-de-France et notamment sa zone urbaine dense. Le long des axes routiers, des voies ferrées, aux abords des aéroports mais aussi dans les quartiers habituellement animés de la capitale et près des chantiers, tout l'environnement sonore est chamboulé. Entre 5 et 10 décibels de moins le long des axes routiers, des nuisances sonores aéroportuaires en très nette baisse également, ainsi que le long des voies ferrées.

Coronavirus : la nature reprend ses droits ?

Baisse spectaculaire des émissions de CO2 ; les animaux sont de retour, canards et cerfs (voire pumas) en pleine ville, dauphins dans les ports… Mais attention au rebond ! le climat n'a pas besoin d'une année blanche, mais d'une baisse des émissions de gaz à effet de serre soutenue», détaille François Gemenne, chercheur à l’université de Liège et membre du GIEC. Il craint également que beaucoup de gouvernements ne profitent de cette crise pour «remettre en cause les mesures de lutte contre le réchauffement climatique».

De son côté, l’ornithologue Philippe Carruette estime qu’il n'est pas certain que le monde animal en tire profit sur le long terme car « en baissant leur niveau de vigilance, elles s'exposent à un risque accru d'accident lorsque l'activité reprendra et que les véhicules se remettront à circuler comme avant."

Temps 3 – L’analyse et la réflexion

Se réfugier à la campagne est un réflexe traditionnel de protection 

Se réfugier à la campagne en tant de crise est-il synonyme d’inégalités sociales entre citadins et ruraux ?

Selon le sociologue J. Viard, il s’agit d’abord d’un réflexe classique qui, après avoir été lancé par les élites et l’aristocratie à l’origine de la villégiature, peut toucher aujourd’hui toutes les classes sociales possédant un pied à terre à la campagne allant de la résidence secondaire à la caravane, l’inégalité sociale résidant avant tout dans le fait de pouvoir ou pas s’y réfugier. En tant de guerre et de crise, la campagne est toujours apparue comme un lieu de refuge contre les maladies et les émeutes et une terre nourricière. Quant à l’acceptation de cette migration citadine par les ruraux, en dehors des territoires touristiques, notamment insulaires, qui subissent déjà de très fortes pressions, le développement des résidences secondaires n’est pas systématiquement rejeté.

Propositions pour aller plus loin : relation ville-campagne que concernent la nature dans la ville, l’agriculture péri-urbaine, l’aménagement du territoire et l’équilibre villes-campagnes (métropoles et villes moyennes…)…

 

La pandémie, révélateur et accélérateur des inégalités

Les habitants de quartiers populaires sont assez régulièrement pointés du doigt pour leur supposée « incivilité » et non-respect du confinement. Bien entendu, la situation est plus complexe et de nombreux article rappellent que :

- les plus pauvres sont ceux qui continuent à travailler – ils ne peuvent télétravailler car occupent des emplois subalternes bien qu’indispensables - et donc à être exposés au virus

- ils habitent des logements exigus et surpeuplés

- ces quartiers sont un « désert médical ».

Temps 4 – La ville résiliente

Coronavirus : villes vulnérables mais résilientes

Jusqu’à quel point nos villes sont-elles flexibles face aux usages en mutation ?

La crise du Coronavirus montre que les espaces publics peuvent avoir une flexibilité plus ou moins importante pour répondre à de nouveaux usages: parking dédié au dépistage, ouverture d’atelier de production (couture…), télétravail…et que la ville en général, loin d’être « effrayante » sait faire preuve d’adaptation et d’innovation. En termes de résilience, si les lieux possèdent trop souvent une mono-fonction inamovible qui crée une « distanciation » aux services, le professeur Carlos Moreno a développé le concept de « ville quart d’heure » et propose ainsi d’interroger l’agencement des villes à l’échelle des quartiers en développent la pluri fonctionnalité des lieux. Néanmoins il convient de fixer un curseur à cette flexibilité en proposant un cadre capable de garantir l’ordre et l’égalité d’accès, sachant que les usages dépendent du niveau d’appropriation des lieux par les habitants et que les besoins sont eux-mêmes mouvants.

Propositions pour aller plus loin : voir mixité fonctionnelle à l’échelle du quartier, notion de quartier (espace vécu, espace perçu), la ville circulaire, « réindustrialiser » les centres villes…

 

Pandémie, résilience, villes : Deux ou trois choses que nous savons d’elles

« Cet article tente de cerner ce que le COVID-19 nous dit de nos territoires et de nos actions collectives. Il ne s’agit pas d’un guide de recommandations et encore moins d’un exercice prophétique. L’objectif est de commencer à identifier les questions que la pandémie pose à l’urbanisme et à l’organisation de nos territoires, puisqu’on ne saurait reprendre les choses telles qu’on les a laissées avant le grand confinement. »

Il évoque les liens étroits, à l’origine, entre urbanisme et santé, l’approche hygiéniste. Pour lui, ces liens se sont distendus et des réponses ne pourront être apportées que grâce à l’activation de systèmes territoriaux multi-échelles. La crise que nous traversons doit nous servir d’enseignement pour concevoir l’urbanisme. Il prend pour exemple l’intérêt d’un CHU multi-sites plutôt qu’une concentration au même endroit …

L’article site plusieurs sources intéressantes (livres, articles, vidéo).

 

Nouvelles Mobilités, Nouvelles opportunités

Si le confinement a donné un coup d'arrêt aux vélos, trottinettes et scooters en free floating - généralement maintenus, mais en service minimum - la marche et le vélo sont désormais plébiscités

par les municipalités comme modes de transports plus hygiéniques car individuels .

Dès la mi-mars, la mairie de Bogotá (Colombie) a a créé en une nuit 22 kilomètres de pistes cyclables en fermant des voies réservées aux voitures. Mexico a créé ses premières pistes cyclables temporaires à l'aide de plots. Berlin a embrayé en donnant un coup de peinture au sol pour élargir des pistes cyclables existantes ou en créer de nouvelles.

Le CEREMA propose des solutions pour réaliser des aménagements provisoires basiques, avec de la signalisation de chantier, pendant et après le confinement.

 

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Penser le futur

 

La métropolisation du monde est une cause de la pandémie

« Le coronavirus s’est répandu extrêmement rapidement, de métropole en métropole, profitant des intenses flux mondiaux qui les relient. « L’une des causes principales de la pandémie est à trouver dans la métropolisation du monde », et dans la société coupée de la nature qu’elles ont construite, explique le géographe Guillaume Faburel. »

Pour G. Faburel, la métropolisation est pour partie responsable de la crise sanitaire du coronavirus. Il s’en prend à la « densification extrême » et au « surpeuplement démesuré ». La métropolisation conduit à un « arrachement à la nature ». Il évoque par opposition le rôle ambivalent de la campagne… Le monde métropolitain serait aussi le règne des inégalités. Il faudrait « démondialiser la ville et désurbaniser la terre ». G. Faburel, lors de cet entretien, préconise un aménagement du territoire autour des petites villes et des campagnes, à l’opposé de la surconcentration dans les espaces métropolitains. Il dénonce les « mobilités permanentes et l’accélération sans fin des mouvements » parmi d’autres maux des comportements métropolitains. Son entretien se conclut par un appel à une « pensée de la modération et de la limitation ».

 

Le coronavirus prépare-t-il la revanche des campagnes ?

La crise du coronavirus serait-elle en passe de briser la logique de concentration urbaine ? Les nouveaux standards d’hygiène, la distanciation sociale impossible à mettre en œuvre dans les villes, la brusque accélération du télétravail vont-il rendre les avantages jusque là reconnus aux villes insuffisants pour y retenir les métropolitains – ou, en tous cas les plus fortunés d’entre eux ?

 

Cette crise sanitaire est l'occasion de penser la ville du quart d'heure

Dans cette tribune de Carlos Moreno, le contexte de confinement est envisagé comme une opportunité de repenser les villes notamment au regard des temporalités. En partant du constat initial d'un "mode de vie urbain désincarné", notamment marqué par des déplacements multiples et chronophages, C. Moreno perçoit, avec la mise en place du confinement, un bouleversement des modes de vie et une occasion de repenser la ville. Il propose ainsi le concept de "ville du quart d'heure", renforçant la proximité et modifiant les temporalités, en pensant un accès des urbains aux divers services en un quart d'heure à pieds (ou modes actifs) depuis leur domicile. De cette organisation émergerait plusieurs vertus dont le développement d'usages, du lien social et de la participation citoyenne. L'article mentionne deux exemples de projets autour de la proximité.

 

Que peut l’urbanisme contre les épidémies ?

« D’un marché de Wuhan à une usine en Bavière, puis au monde entier… Encouragées par le monde moderne, ses villes et ses réseaux, les épidémies ne semblent plus avoir d’obstacles. L’urbanisme était pourtant né avec elles, pour freiner le choléra et la tuberculose. L’aménagement urbain est-il encore capable de nous maintenir en bonne santé ? »

L’article cite notamment Anne Roué-Le-Gall, professeure à l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP), spécialiste en santé, environnement et urbanisme. Pour elle, « les épidémies sont souvent le résultat d’un déséquilibre environnemental » (dégradation des écosystèmes naturels). En rupture avec l’aménagement hygiéniste, elle prône le décloisonnement des approches de santé publique et d’environnement :« L’interdisciplinarité et l’intersectorialité sont des principes clé et majeurs dans nos approches d’urbanisme favorable à la santé. »

 

Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise

Bruno Latour considère que « la crise sanitaire est enchâssée dans ce qui n’est pas une crise —toujours passagère —mais une mutation écologique durable et irréversible. » Il ne s’agit pas seulement de « reprendre ou d’infléchir un système de production, mais de sortir de la production comme principe unique de rapport au monde. » Il propose d’établir un contre-inventaire de ce que l’on ne veut plus et de ce que l’on désire, notamment en s’appuyant sur un exercice pratique, une « aide à l’auto-description ».

 

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APPELS A CONTRIBUTIONS

"ET APRÈS ? DES VILLES ET DES TERRITOIRES À RÉINVENTER"

L'AUGO vous suggère d'aller plus loin en programmant une rencontre professionnelle sur ce thème, probablement à la rentrée. Vos contributions sont les bienvenues pour alimenter ce débat naissant au sein de l'association.

L'association se propose également de se faire le relais en portant une synthèse auprès du PUCA à l'occasion de l'appel à contributions "La crise sanitaire, la ville et l’habitat : Questions pour la recherche".

Vous pouvez envoyer vos contributions à www.augo.fr en mentionnant "contribution Demain" avant le 28 mai 2020.

 

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